terça-feira, 17 de dezembro de 2013

Sem comentários (?)


 


 
28 septembre 1941. - Si l'on en avait le temps, on devrait écrire ce qui se passe dans notre cerveau pendant l'espace d’une minute. Mais non, le papier n'y suffirait pas. Et puis, comment retrouver le fil de pensées aussi nombreuses et aussi rapides ? Autant vouloir retracer dans les airs le vol d'une poignée de moineaux. D'un bout à l'autre de la vie, il passe à travers nous comme un torrent d’idées dont quelques-unes seulement sont perçues avec quelque netteté. À ce compte-là, qu'est-ce qu'un journal et quelle vérité peut contenir un ouvrage de ce genre ? Ce que nous détachons pour en parler n'est qu'une partie infime d’un ensemble qui n'a toute sa valeur que si l'œil l’embrasse en entier. Je ne suis pas, je n'ai jamais été tout à fait l'homme du journal que j'écris. Quand je relis les pages de 1928, de 1935, et même de 1940, il y a quelque chose en moi qui élève une protestation. Je suis meilleur et pire que je ne l'ai donné à entendre, mais j'ai toujours voulu être vrai. Or être vrai est une chose, et être exact en est une autre. 
 
Julien Green, "Journal" (Gallimard, La Pléiade)